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Photo du rédacteurRADIE Angers

TÉMOIGNAGE D’UN MARIN DE L’AQUARIUS : ENTRE INCERTITUDES ET NÉCESSITÉ D’AGIR

Conférence de Stéphane Broc’h : SOS Méditerranée & l’Aquarius

Le 1er Octobre 2018


 

Laurin Schmid/SOS Méditerranée

Le 1er octobre dernier, l’ONG SOS Méditerranée nous faisait déjà part de son inquiétude quant à l’avenir de l’« Aquarius », alors menacé de voir son pavillon retiré. Aujourd’hui que l’ONG est sans navire, le témoignage de l’un des membres de l’équipage, Stéphane Broc’h, à l’Université d’Angers, raisonne encore au vu de la nécessité d’agir contre les naufrages et décès en Méditerranée.


Officier de la Marine marchande de formation, Stéphane Broc’h est un membre actif de l’association SOS Méditerranée, laquelle effectue depuis 2015 à bord du navire « Aquarius » des missions de sauvetage en Méditerranée centrale. Au terme d’une conférence de deux heures riches d’informations, Stéphane Broc’h a partagé avec nous ces expériences, les connaissances et savoir-faire développés par les équipages de l’Aquarius, ainsi que leurs inquiétudes quant aux politiques migratoires menées en Europe.


Commençant par visionner un court-métrage tourné à bord du navire lors de missions de secours en mer, Stéphane Broc’h nous explique qu’actuellement, les départs d’embarcations se font essentiellement depuis la Libye « considérée comme terre de travail dans l’Histoire africaine ». Or une fois sur place, la réalité est tout autre : proxénétisme des femmes ; travail forcé ; marché aux esclaves ; traitements inhumains et dégradants… le seul moyen de quitter de cette vie est alors de prendre la mer à bord de bateaux de fortune.


Gonflables ou en bois, ces embarcations empruntées pour la traversée et sur lesquelles les migrants sont entassés ne sont pas conçus pour flotter très longtemps. Ainsi, il arrive que les opérations de sauvetage soient aussi laborieuses que dangereuses au vu des risques de chavirement. C’est pourquoi les ONG, et particulièrement les équipes de l’Aquarius, tentent de développer une véritable méthode modèle de sauvetage de masse : « Avant toute action, il faut fournir des gilets de sauvetage à tous pour assurer une flottabilité si toutefois l’embarcation venait à couler pendant l’opération de sauvetage. Ensuite, un médiateur culturel intervient afin de déceler des situations critiques tels que des troubles respiratoires et lorsqu’il y a plusieurs embarcations à secourir, il faut d’abord faire le tour de toutes pour prendre en charge les cas les plus inquiétants ». Aussi, une seule personne parle et décide tout au long de l’opération. Cependant, « chaque sauvetage est unique » et il faut agir en fonction de la situation du moment. Le principal objectif est d’éviter tout mouvement de panique pour pouvoir opérer les transferts jusqu’à l’Aquarius.


Ce procédé de sauvetage fait en outre l’objet de mise en commun entre les ONG (« No Blame ») dans une démarche d’amélioration. A l’inverse, les navires de l’agence Frontex ou militaires sur zones ne restent pas suffisamment longtemps pour acquérir ce savoir-faire, tandis que les navires de marine marchande ne sont ni équipés ni formés pour procéder à ces sauvetages de masse. Pourtant, selon Stéphane Broc’h, du fait de la disparition progressive des ONG dans la zone, la marine marchande devra prendre le « relai » des opérations de sauvetage. Or, même à supposer qu’elle acquiert le savoir-faire et les techniques adéquates, il n’en reste pas moins qu’elle sera confrontée aux mêmes problèmes que les navires civils : difficultés opérationnelles, heurts avec les garde-côtes libyens, et poursuites pénales fallacieuses.


D’autant plus que les acteurs en mer Méditerranée ont beaucoup changé depuis ces deux dernières années. En 2017, étaient encore présents sur la zone de passage des flux migratoires : Frontex ; une dizaine d’ONG, des navires marchands… Au moment où Stéphane Broc’h témoigne, il n’y a plus que l’Aquarius dont les activités sont également menacées par l’absence de pavillon. En l’espace de 3 mois, tous ont dû cesser leur activité, en raison de la criminalisation des ONG : Code de conduite italien en août 2017, problèmes de finances publiques dans un contexte politique particulièrement hostile à ces interventions. Sachant que la zone à surveiller est très vaste, elle ne peut pas correctement l’être par un seul navire, ce qui impacte directement le nombre de morts. Parallèlement, l’UE a, en vertu des accords bilatéraux conclus en juin 2017 entre l’Italie et la Libye, commencé à financer la garde côte libyenne, qui procède davantage à l’interception des migrants afin de contenir le flux migratoire qu’au sauvetage des embarcations. Par ailleurs, aux côtés de cette garde côte il y a aussi beaucoup de milices qui créent des tensions lors des sauvetages, notamment lorsqu’elles font usage des armes.


Parallèlement, les pays européens les plus proches, tels que l’Italie et Malte ferment leurs ports aux navires civils de sauvetage, comme l’a encore démontré récemment l’actualité de l’Aquarius : en juin 2018, alors que les conditions météo étaient mauvaises, aucun port européen n’a souhaité accueillir l’Aquarius même si la Convention SAR les y oblige. Aujourd’hui, les Etats européens appliquent la technique du « one-shot », ne parvenant pas à s’entendre sur une politique d’accueil des naufragés. Mais ce mécanisme ne peut perdurer et laisser les navires toujours plus incertains de leur sort. C’est finalement Valence qui ouvrait ses portes, mais Gibraltar qui ôtait le pavillon au navire de sauvetage. L’Aquarius a pu repartir sous pavillon panaméen, mais de nouveau aujourd’hui, l’action du navire est menacée puisque le Panama est en procédure pour retirer à son tour le pavillon. Dans un avenir proche, l’Aquarius souhaite repartir en mer au moins pour faire de l’information et du témoignage si toutefois le pavillon ne lui était pas accordé pour procéder à des sauvetages en mer.


C’est ainsi que le 1er octobre 2018, Stéphane Broc’h nous partageait ses inquiétudes concernant l’avenir de l’Aquarius et du sauvetage en mer… Un peu plus d’un mois après cette rencontre, alors que l’Aquarius était encore bloqué à Marseille, l’Italie demande la mise sous séquestre du navire, accusant SOS Mediterannée et MSF d’avoir fait passer 24 tonnes de déchets toxiques sur le territoire italien… C’est l’attaque de trop, les deux associations décident de dé-affréter le navire, devenu malgré lui la cible symbolique pour les politiques européennes anti-migrations. Mais Stéphane Broc’h nous a confié depuis que l’équipe de SOS Méditerranée reste positive : en attendant de pouvoir retourner sur l’eau pour sauver des vies, ils axent leur action sur la sensibilisation des populations à l’ampleur de la catastrophe humanitaire qui se déroule encore aujourd’hui, sous nos yeux, en Méditerranée.


 


Sophie Blevin et Alicia Souquet, étudiantes en master 2 droit public parcours international et européen à l’Université d’Angers. Participent dans le cadre de la Clinique juridique à soutenir juridiquement l’action de SOS Méditerranée depuis septembre dernier.





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